L'annonceur

LA TRIBUNE LIBRE

Projet de loi sur la laïcité de l'État (projet de loi 21)

Avec ce projet de loi, lu à tête froide, il n'y a pas lieu de déchirer sa chemise ou d'y voir un complot pour brimer des droits fondamentaux.

Par Lionel Émard, prêtre [04/04/2019]

Enfin un os sur quoi ronger son frein. Pourquoi un os ? Pour la raison très simple que certains vont trouver qu'il n'y a pas assez de viande, d'autres diront qu'il y en a déjà trop. Le temps est venu que l'os soit jeté en pâture; il aurait dû être donné l'année qui a suivi l'apparition du Rapport Bouchard-Taylor en 2008. Il n'y avait pas unanimité sur les recommandations principales du Rapport, mais un large consensus étaient établis; aujourd'hui, certaines recommandations du Rapport sont proposées dans le projet de loi. N'oublions pas, c'est un projet de loi, les mois à venir vont donner le temps d'échanger longuement, espérons avec respect les uns les autres.

Le projet de loi contient une introduction, « Notes explicatives ». Parmi les notes explicatives, il y a la précision sur quoi repose la laïcité de l'État: « Séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et de religion ». En 2017, le Gouvernement du Québec adoptait la Loi 62, favorisant la neutralité religieuse, sans donner de définition juridique sur ce qu'est la « neutralité religieuse », le projet de loi 21 n'en donne pas plus; ce qui donne un flou pour les organismes et personnes qui ont à appliquer la neutralité religieuse de l'État. C'est le deuxième paragraphe des « Notes explicatives » qui va faire jaser : « Le projet de loi propose d'interdire le port de signe religieux à certaines personnes dans l'exercice de leurs fonctions ». On y ajoute ce que le jargon populaire nomme « clause grand-père »; en somme celui qui est présentement en fonction pourra garder son signe religieux tout en demeurant au service de l'État. Le troisième paragraphe, celui du visage à découvert, ne devrait pas faire trop de débat ; il se résume ainsi : En public on donne et reçoit des services visage à découvert. Le chapitre 3 du projet de loi on spécifie c'est quoi un visage à découvert, et la raison fondamentale donnée, une question de sécurité. Cette partie de la loi ne devrait pas avoir trop de contestation.

La loi sur la laïcité comporte 8 considérants; les considérants 4 et 8 vont faire objet de discussions, voire de contestations. Pour le considérant 4, se posera la question qui gouverne au pays, les juges, ou les parlementaires ? Pour le considérant 8, on se demande si le collectif peut être retenu dans l'élaboration d'une loi ? Trudeau, à Ottawa, dit non, Legault, à Québec, dit oui.

Avec le chapitre 1 arrive la présentation des 32 articles de loi, précédée de l'affirmation de la laïcité de l'État qui reprend le premier paragraphe des notes explicatives. L'article 4 va être discuté parce qu'on ajoute comme motif de défense de porter des signes religieux, celui du respect de neutralité religieuse de l'État pour les personnes en service pour l'État. Le chapitre 2 ne contient qu'un article, article 6 qui doit être lu avec l'annexe 2 : « Le port d'un signe religieux est interdit dans l'exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l'annexe 2 ». C'est le dixième de l'annexe 2 qui va faire objet de débat: les directeurs d'école ne peuvent porter de signe religieux; cet interdit s'applique pour les enseignements du primaire et du secondaire. Du personnel d'un service de garde en milieu familial subventionné et service de garde éducatif à l'enfance, on exige seulement qu'ils donnent leur service à visage découvert.

Avec ce projet de loi, lu à tête froide, il n'y a pas lieu de déchirer sa chemise ou d'y voir un complot pour brimer des droits fondamentaux. La sagesse serait de mettre en application ce projet de loi en demeurant ouvert aux ajustements. Le bon sens fait voir que l'État ne peut pas répondre aux particularités des religions, d'où la nécessité et l'obligation de se présenter neutre devant toute religion et laïque parce qu'elle n'appartient et n'adhère à aucune religion; sa neutralité religieuse et son statut laïque, l'État les manifeste dans son personnel qui sert d'abord un citoyen, fut-il croyant ou incroyant.

ÉDITIONS EN FORMAT PDF

CHRONIQUE LIVRES

BOTTIN AFFAIRES