L'annonceur

CHRONIQUE

Le gage rassurant et inquiétant de lendemains heureux et ténébreux

Il n'est pas donné à tous de savourer son dernier souffle.

Par Mario Courchesne [10/11/2022]

PROMESSE

Bob, bon, bon, cessez vos commentaires dévastateurs sur les réseaux sociaux et vos sarcasmes lorsque vous me croisez dans la rue. Oui, je l'avoue, je n'ai pas tenu ma promesse d'élection, mais à mon corps défendant il y a une très bonne raison à ce désistement. Permettez que je vous explique. Récapitulons. Je vous avais promis que j'irais décrocher sur un poteau d'Hydro l'affiche du candidat qui serait élu dans notre comté aux dernières élections. Ce qui fut fait, à mes risques et périls, durant une nuit de lune noire des plus venteuses qui aurait pu m'emporter dans les profondeurs visqueuses du lac Saint-Pierre. Tout cet effort dans le but de l'installer dans mon jardin pour épouvanter les bêtes, les bestioles et les voleurs de grand chemin loin de mes semailles et des récoltes tant espérées durant l'été. En politique, qui dit prendre le pouvoir doit tôt ou tard être confronté à l'opposition. En arrivant dans mon potager avec ma fameuse pancarte, c'est ce qui m'est arrivé. Ils étaient tous là, l'arche de Noé au grand complet occupant tout l'espace. Chevreuils, ratons, orties, corneilles, papillons, marmottes, grenouilles, couleuvres, chiendent, vers blancs, bref, la faune et la flore m'attendaient de pied ferme. Et le message était clair. Pas question de mettre une grosse face du gouvernement dans notre environnement. Cette terre demeurera apolitique, libre de décider de son sort par elle-même. Les arguments furent des plus pertinents. Ça fusait de toutes parts avec le même constat. Sacrés humains ! Vous pensez dominer et contrôler la nature à votre guise, parce que vous croyez être les maîtres du monde, élus par vos dieux imaginaires, barbares et insensés, à posséder la raison et les émotions. Regardez ce que vous en faites. Jetez un oeil en arrière. Tous ces millénaires ne vous ont rien appris et vous continuez à piétiner, saccager et à détruire aveuglément cette nature précieuse qui vous permet de respirer, de rêver et de réaliser des oeuvres grandioses. Laissez-moi vous dire qu'après cette réprimande j'en avais plein la gueule de cette taloche moralisatrice bien méritée. C'est alors qu'ils m'ont demandé, pour faire amende honorable, qu'à mon décès mon corps soit composté pour venir engraisser plantes et grenailles. Imaginez, en ce moment je fais 110 livres avec une paire de caleçons et des bas pas propres. Ce qui donnera à peine quelques pelletées de fumier humain. J'ose espérer de grandes qualités. Ironique pareil. Après avoir dévoré la moitié de mon jardin l'été dernier, ils se nourriront du fruit de ma chair et de mon âme. Pour me consoler, j'aime penser que mon passage terrestre aura au moins servi d'amuse-gueule.

NOVEMBRE 1984

Comment vous exprimer cet état de grâce quand la mort qui vient vers vous vous rend heureux ? Plutôt insensé vous pensez. Je vous l'accorde. Permettez, une fois de plus, que je vous raconte. Pour ceux qui ont la mémoire longue, en cette journée de novembre 84, la température était dans une phase d'été des Indiens. Douce, lourde, sans soleil, pas une graine de vent. Le calme et la volupté régnaient. À cette époque, je travaillais pour mon ami Christian comme aide-paysagiste. Malgré le dur labeur du métier, la journée avait été des plus agréables. Tout à fait compréhensibles, nous fermions le chantier jusqu'au printemps. Pour souligner l'événement, au menu, petite poffe de hasch, et cul sec d'un savoureux Calva que mon patron avait rapporté de Bretagne. Que du bonheur. De retour à la maison, il fait noir comme chez le loup, je me dirige à l'étable pour nourrir et abreuver mes bêtes. Chèvres, moutons, oies et poules me regardent d'un air inquiet. Je n'y prête pas attention, désireux de me retrouver dans la maison pour embrasser femme, enfants et manger un bon repas. En ressortant de l'étable, je suis saisi par une fumée qui m'irrite les yeux et m'empêche de bien respirer. Inquiet à mon tour, je marche d'un pas pressant vers la maison. Arrivé aux abords de celle-ci mon ombre se reflète sur le mur extérieur. Je me retourne et j'aperçois une énorme boule de feu s'élever dans le ciel. J'entre rapidement à l'intérieur, j'avertis ma douce, nous prenons dans nos bras nos deux jeunes enfants, sortons sur le perron et constatons que la boule de feu s'est transformée en champignon atomique. Pour ajouter à ce scénario d'apocalypse, deux gros hélicoptères de l'armée canadienne fuient la destruction annoncée. Nos enfants sont fascinés par la magnificence du spectacle. On les serre très fort dans nos bras et attendons avec sérénité la mort qui approche. Après un court laps de temps, la grande faucheuse n'est toujours pas venue cogner à notre porte. Pas de tremblements de terre ni de souffle brûlant pour nous irradier. Que se passe-t-il ? On allume la radio en pensant que si elle ne fonctionne pas c'est que Montréal n'existe plus. Déception, on parle de congestion au pont Hippolyte Lafontaine. Quelques minutes plus tard, lorsque la boule de feu s'estompe nous rentrons penauds pour le souper. Que s'était-il passé ? C'est au surlendemain que l'on a su ce qui était vraiment arrivé. Des braconniers avaient mis le feu dans des broussailles dans la baie de Lavallière pour y attraper les pauvres grenouilles fuyant le feu ardent. Au même moment, un système orageux avec ses gros cumulonimbus en forme de champignon s'est manifesté réveillant au passage Éole qui a éternué violemment, alimentant le feu en flammes infernales. Que penser de cette mésaventure ? Peut-on être déçu de ne pas avoir eu le privilège de mourir heureux ? Il n'est pas donné à tous de savourer son dernier souffle. Alors, en ce mois qui évoque la fête des Morts, levons notre verre à la santé de tous ceux et celles qui nous ont précédés. Ils sont le gage rassurant et inquiétant de lendemains heureux et ténébreux.

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