L'annonceur

LA TRIBUNE LIBRE

L'Enfant d'avril ou la victoire de la vie sur la mort

Une fois la lecture entreprise, on ne peut plus s'arrêter

Par Lionel Émard, prêtre [23/06/2015]

Dans la Bible, on raconte qu'un homme, nommé Job, fut éprouvé, mais pas à peu près; ses « amis » ayant appris la nouvelle « s'assirent à terre près de lui, ils restèrent ainsi durant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui adressa la parole au spectacle d'une si grande douleur. »

Après ces sept jours de prostration, Job ouvrit enfin la bouche pour crier: « Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui annonça: ‘Un garçon vient d'être conçu.' » Il s'ensuit un dialogue entre Job et les trois « amis ». À la fin, Dieu intervient pour dire à ses défenseurs: « Ma colère s'est enflammée contre vous, car vous n'avez pas parlé de moi avec droiture comme l'a fait Job. » (Jb 1,1; 42, 7)

La citation de la Bible est longue, il valait la peine de la citer car elle peut aider le lecteur du témoignage de Katherine Girard, L'Enfant d'avril (1), à lire correctement ce témoignage. Si les « amis » de Job s'étaient contentés de rester assis près de lui et s'être tus, ils auraient fait oeuvre utile pour Job; mais non, ils ont voulu se faire les défenseurs de Dieu, comme si Dieu n'était pas capable de se défendre tout seul. Laissons Dieu se défendre seul quand ceux qui souffrent lèvent le poing contre lui.

À ceux qui se serviront du témoignage de Katherine Girard pour promouvoir leur combat contre l'avortement, je dis simplement: « Vous me dégoûtez »; elle-même nous dit pourquoi elle a écrit son témoignage: « Je veux donc sensibiliser les gens aux maladies héréditaires récessives présentes au sein de la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean et à l'importance du dépistage génétique précoce. » (p. 14) Elle reprendra cette affirmation aux pages 252-253 en ajoutant: « pour que personne ne se retrouve plus dans la situation que j'ai vécue. » À propos de ce dépistage précoce, Katherine Girard fait une belle réflexion éthico-philosophique qui situe les véritables enjeux de cette décision (pp 228-235)

Une fois la lecture entreprise, on ne peut plus s'arrêter, non pas parce qu'on veut savoir ce qui va arriver par la suite, car comment s'arrêter avec des yeux embués de larmes avec des personnes qu'on aime déjà sans avoir jamais vues et ne verront jamais sans doute ?

Katherine Girard a une plume extraordinaire; nous la suivons dans ses déchirements, dans ses sauts d'humeurs, ses réflexions ou réactions vis-à-vis certains spécialistes; jamais nous sentons chez-elle une haine viscérale envers ceux et celles qui la bousculent; mais par contre que de délicatesse chez ces personnes qui saisissent sa souffrance, son désarroi; comment ne pas être ému lorsqu'elle décrit sa « Rencontre avec la psychologue du village » (pp 195-200). Il y a d'abord ces mots que la psychologue adresse à Katherine: « Ce n'était pas un foetus malade, Katherine. C'était ton fils. Tu l'aimais, tu l'avais désiré et il est mort. Personne ne pourra jamais le remplacer. » Et cette scène finale: « Je me lève et serre la psychologue dans mes bras. Je lui dis merci. Des larmes s'échappent de ses yeux bleus. On dirait qu'elle me comprend. » (p. 199) À lire ces lignes, on se met à croire à nouveau en l'humanité.

Ce n'est pas seulement à l'humanité que nous commençons à croire, mais également à la vie; cette foutue de vie plus forte que la mort; Katherine Girard s'interroge elle-même sur cette puissance de la vie qui va la faire désirer et avoir une autre enfant après tout ce qu'elle a vécu avec la mort de son deuxième enfant. Dans son chapitre « La mère orpheline et la mère courage » (pp. 257-263), Katherine Girard pose une question qui taraudera l'humanité jusqu'à la fin: « Mais comment peut-on accepter l'idée que l'enfant qu'on a mis au monde va souffrir, qu'il va mourir ? Comment accepter que l'enfant qu'on a mis au monde va mourir un jour parce qu'on l'a mis au monde ? » (p. 258)

Katherine Girard a côtoyé la vie et la mort dès sa petite enfance, elle en écrit pas moins: « Le but de la vie, c'est de tenir son enfant par la main jusqu'à ce qu'il ait besoin de la lâcher, c'est d'amener son enfant à vous laisser derrière en toute confiance. À s'engager seul sur le chemin qui mène au néant. » (p. 258)

L'Enfant d'avril, un témoignage qui mérite d'être lu et relu.

(1) GIRARD. Katherine. L'enfant d'avril. Préface de Pierre Lavoie. Les éditions JCL, Chicoutimi, 2015, 275p.

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