L'annonceur

CHRONIQUE

Jardin... secret

De la culture d'herbes médicinales aux Fleurs du mal, la bêtise ne pousse jamais loin de la bonté.

Monarque
PHOTO DAVID J. STANG

Par Mario Courchesne [23/07/2020]

Avec tout le vécu des derniers mois, il était primordial pour plusieurs d'entre nous de remuer ciel, mer et monde pour semer des petites grenailles en terre. Une multitude de fleurs pour égayer la plate-bande et un trop-plein de légumes pour le potager. Il fallait démontrer avec vigueur que nous avions survécu à une période inquiétante de notre histoire. Mais, nous n'avions pas prévu que Dame Nature nous offrirait en prime un concert heavy métal. Pour débuter le bal, du temps froid avec de la neige en mai, quelques gouttes de pluie, par-ci par-là, et pour terminer l'oeuvre en beauté de la chaleur caniculaire extrême. L'agriculture à la dure. Il a fallu arroser encore et encore pour espérer un seul germe. Même les lombrics ont plié bagage en s'ouvrant un bar ouvert, six pieds sous terre.

De mémoire d'hommes et de femmes jardinières du Chenal Tardif, jamais ils n'ont connu une telle sécheresse. Alimenter l'humanité est tout un métier et bien nourrir la terre un défi gigantesque. On lui impose de produire de plus en plus. La pression est telle qu'on aurait atteint un point de bascule qui met sa santé en péril et par ricochet la survie des humains. Triste et découragé j'étais en pensant à tous ces agriculteurs qui se retrouvent aux prises avec des champs dégarnis de leurs fruits. Déprimé aussi, car je venais d'appliquer l'aide médicale à mourir à mon vieux minet, ce cher philosophe Épilogue Ignare. Tuer sa bête c'est tuer une partie de soi-même, ultime acte d'amour terrifiant. Ça vous arrache le coeur.

Cela me ramena au douloureux épisode de ma mère atteinte d'Alzheimer sévère. Lors d'une visite en plein coeur d'été, je l'avais amené au balcon ensoleillé pour qu'elle puisse ressentir dans sa tête et son coeur une quelconque sensation. Après quelques instants, je me suis assoupi à côté d'elle. C'est alors qu'elle m'est apparue dans un songe et me demanda de la jeter en bas du quatrième étage. Du coup, je me suis aperçu que je ne dormais pas. Était-ce bien un songe? Elle qui ne disait mot depuis plusieurs mois. Après plusieurs années, cela me hante encore.

Toujours noyée dans la mélancolie, ma réflexion pataugea vers les jardins secrets qui ont germé en nous depuis notre naissance. De la culture d'herbes médicinales aux Fleurs du mal, la bêtise ne pousse jamais loin de la bonté. Je repensai à mes propres sottises, paroles et gestes déplacés, que j'ai commis à l'enfance, à l'adolescence et surtout à l'âge adulte. Quand on est petit, cela est pardonnable, mais en vieillissant normalement on devrait atteindre une certaine sagesse qui nous permettrait de réfléchir avant d'agir. Tristes humains imparfaits que nous serons jusqu'à la fin.

Je m'enlisais de plus en plus dans les ténèbres abyssales de la détresse et du désarroi, et c'est là qu'il est apparu. Le prince des papillons, le monarque. Il vint parader devant moi en me remerciant d'avoir cultivé dans mon jardin quelques plants d'asclépiades au parfum si enivrant. Viens avec moi, me dit-il. Vois, sens et admire toute cette beauté que tu procures à la nature et à ceux qui veulent bien la contempler. Tu n'es pas seul à agir de la sorte. Vous êtes des milliards sur cette planète bleutée à défricher la beauté du monde. Il faut y croire. Et même si notre espèce ailée est menacée et risque de disparaître un jour, un autre papillon prendra le relais. Comme tu sais, la nature a horreur du vide. Il en sera ainsi de votre espèce humaine.

Cela m'a apaisé et je repensai aux dernières paroles qu'Épilogue Ignare me prononça avant que je l'abatte. Il me cita un extrait de L'invitation au voyage de Charles Baudelaire.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

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