L'annonceur

CHRONIQUE

Sur un fil d'avril

Embarque sur le fil et suis-moi. J'aimerais effectuer avec toi une petite promenade.

Araignee

Par Mario Courchesne [18/04/2021]

Nuit d'enfer. Eh vlan! me v'là enchaîné le corps entier à ne pouvoir bouger entre les deux Michael canadiens qui rigolent de joie à me voir ainsi ligoté. Souvenez-vous du temps où vous étiez à la petite école de ces pauvres petits Chinois que vous achetiez à coup de cennes noires pour sauver leurs âmes pures contre Mao et cette peste communiste. Pour ma part, j'avais réussi durant toute mon année scolaire à faire l'acquisition d'un seul misérable, alors que fiston bourgeois de la famille la plus riche du village en avait sept, huit d'exposés en haut du tableau comme de véritables trophées de chasse. Il régnait fièrement comme grand seigneur du capitalisme. Et quel étonnement, ahuris je fus lorsque mon bourreau m'annonça qu'il n'était nul autre que ce petit chinois que j'avais acquis et qui aujourd'hui me faisait payer le prix de mon insolence d'avoir voulu troubler sa paix d'esprit en tentant de l'évangéliser vers la barbarie du christianisme. Pour ce faire, il me condamna au supplice de la goutte, non pas avec de l'eau, mais avec tous les sous noirs que les nombreux petits Canadiens français de l'époque avaient difficilement économisés pour les donner à cette cause perdue. Et comble de la torture, ces maudites cennes avec la face de la reine dessus se faisaient un vilain plaisir à m'enfoncer le crâne avec leurs couronnes pour laver mon cerveau à tout jamais d'émotions et de liberté. God save the Queen ! Et vive la monarchie !

Dès que je fus sorti par je ne sais quel subterfuge des geôles chinoises, croyant que ma nuit de désespoir était enfin terminée, je me retrouve heureux et fier d'être le grand vainqueur des élections en tant que maire de mon village. Sous les applaudissements chauds et nourris de la foule en liesse je pavane d'orgueil devant mes adversaires qui pour mon plus grand malheur n'avaient pas dit leur dernier mot. Il avait une arme secrète, une arme de destruction massive. En fouillant dans mes archives personnelles en tant que prof de théâtre auprès des enfants, ils ont traficoté les images et les vidéos pour faire de moi un monstre pervers et les ont diffusés sur les réseaux sociaux. Ils m'accusaient à tort d'avoir écrit des obscénités, des propos racistes, xénophobes, sexistes et le plus horrible, d'avoir été un tyran et un abuseur d'enfants. La foule en colère en apprenant ces révélations se mit à ma poursuite et m'attrapa. Tous les enfants à qui j'avais enseigné me lapidaient d'injures et se transformaient en cobras qui me crachaient leur venin à la figure. On scanda, à mort, à mort le saligaud. Et comme le Christ on me crucifia, mais à la différence de celui-ci, malgré les grands coups perpétuels de lance dans le flanc droit, point de mortalité et de résurrection à l'horizon, la vie éternelle juste pour moi. Bravo, je vivrai agonisant jusqu'à la fin des temps qui jamais n'arrivera.

Épuisant vous dites. Je me réveillai fatigué à l'extrême, onction presque, l'esprit passablement embrouillé avec un fil d'araignée qui traversait la chambre et pendait juste au-dessus de ma tête. Je l'observai attentivement dans le but d'y voir son propriétaire. Après quelques instants, tout en réfléchissant aux tâches que je tenterais d'accomplir en ce premier jour d'avril, telle une puce imaginaire exécutant des prouesses acrobatiques dans un cirque solaire, l'insecte arriva en trombe et me parla. Salut mon homme il me dit. Salut ! je lui répondis. J'ai une proposition à te faire. Ah oui, quelle est-elle ? Embarque sur le fil et suis-moi. J'aimerais effectuer avec toi une petite promenade. Perplexe je devins. Tu crois vraiment qu'un mince fil d'araignée peut me porter. Sois sans crainte je veillerai au grain. Je m'agrippai du mieux que je pus et une étrange sensation de déséquilibre s'empara de mon corps quand celui-ci fut à la verticale. Allez, viens et marche, quelques pas seulement, tu verras l'équilibre prend toute sa raison d'être lorsque l'on caresse ce vertige, cette chute sans fin vers les abysses profonds situés au tréfonds de son être. Oh la la, ça demande réflexion. Se faire dire par une bébitte à la barre du jour d'aller faire une petite balade qui nous mènera, on verra, et tout ça sur un fil d'araignée. Est-on esclave de sa destinée ou maître de se faire mener par le bout du nez ? Quoi qu'il en soit, il ne faut pas trop y penser. J'avançai. Il ajouta, comme le fil d'Ariane, celui-ci te permettra de sortir de cette torpeur pandémique, de ce puits sans fond, de ce labyrinthe sans issue. Vois et entend, la terre dégèle, l'ail des bois pointe vers le ciel, les lombrics s'agitent, la rivière est à l'eau claire et les outardes chantent la liberté. Il me suggéra de m'étendre dans ce magnifique hamac qu'il venait de me tisser et se mis à me chanter une berceuse. Dodo enfant do, enfant dormira bien vite... Je me rendormis cette fois en état de grâce et de béatitude.

Au réveil suivant, mes fonctions vitales semblant revenues quelque peu à la normale, je me suis dit que pour exorciser cette nuit infernale du premier avril 2021 que j'allais me farcir la panse d'un succulent repas avec de la barbotte fraîche du lac Saint-Pierre. Ce qui fut fait. Plus tard, en retournant me coucher, je me rappelai ce personnage coloré qui a teinté notre territoire. J'en glissé un mot à l'araignée. Faut que je te dise cher ami n'en déplaise à la Curie Romaine et à tout son Vatican, que les terres de Notre-Dame-de-Pierreville ont déjà donné naissance à un pape qui a même été canonisé, en la personne de M. Elphège Sarrazin allias Saint Pape. Il était marchand de poissons. Avec son cheval et sa voiture, il faisait livraison. Souvent après sa « ronne », il s'enfargeait les pieds à l'hôtel Traversy, parfois ça s'étirait suffisamment pour que le fumet délicat des poissons restant au fond de sa « tobbe » envahisse le coeur du village et fasse plisser du nez les chics dames bourgeoises de Pierreville. Alors, cette nuit, si un sinistre individu avait envie de me terrasser à nouveau, j'implorerai Saint-Pape qu'il vienne à ma rescousse, qu'il apporte avec lui un de ses poissons fumants d'avril et nous trinquerons à ta santé un bon petit boire digne des bons vivants. Bien aimable mon homme, et n'oublie pas lorsque tu me verras d'éviter de mettre ton pied sur moi. Sois sans crainte, je serai vigilant et d'un pas délicat.

Je m'endormis comme un gros bébé. Alors que mes ronflements étaient des plus apaisants, tout doucement je sentis sur mon visage mon ami qui de ses huit pattes me chatouilla. Je frémis intérieurement. Arrivé sur l'oreiller, il se transforma en mon papa et à ma maman. Eh! mon fils, m'ont-ils dit, ne te découvre pas d'un fil sinon tu prendras froid, ton corps tremblera et ton rêve en cauchemar se transformera. Pour te rassurer, nous passerons la nuit à tes côtés à te border. Allez maintenant, soit un bon grand garçon et fais de beaux rêves !

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