Que sont mes confrères prêtres devenus?
C'est l'histoire de bien des prêtres retraités du diocèse de Nicolet ...
Par Lionel Émard, prêtre [17/06/2022]
La réponse à cette question, je la trouve dans ces mots du poète Rutebeuf (1230-1285) :
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
C'est l'histoire de bien des prêtres retraités du diocèse de Nicolet et, je suppose, celle de bien des prêtres des autres diocèses du Québec. Ça sera aussi la mienne. Oui, le vent a soufflé sur ces prêtres. Ils sont partout et nulle part. Ils sont seuls et invisibles. Ils ne se visitent pas; l'âge et la distance les tiennent éloignés les uns des autres. Les quelques prêtres qui les ont remplacés ne les visitent pas; ils sont trop peu nombreux et surchargés. Hier, ces prêtres parlaient, ils étaient adulés; aujourd'hui, ils se taisent et sont oubliés. Pourquoi se taisent-ils? Ils sont de la génération qui a été témoin du départ de plusieurs de leurs confrères prêtres. Ces départs furent vécus en silence. Ils n'ont pas osé poser publiquement cette question: « Lui, pourquoi abandonne-t-il? Moi, pourquoi, je reste? » Pourquoi ne l'ont-ils pas posée? S'ils l'avaient posée, on leur aurait répondu, comme on m'a répondu: « Ce n'est pas le moment de poser cette question. » Le moment n'est jamais venu. Ces mêmes prêtres portent aussi en eux, même s'ils ne le disent pas, le poids de la culpabilité des agressions sexuelles, commises sur des enfants, par des confrères prêtres. Certes, on ne les accuse pas personnellement, mais lorsqu'ils entendent encore aujourd'hui, « Un prêtre a été accusé de... », ils baissent l'échine; ils se taisent, craignant d'être perçues comme des personnes qui défendent l'indéfendable.
Des actions sérieuses ont été entreprises pour que ces crimes sur des enfants ne se commettent plus. Une question demeure; elle a-t-elle été débattue dans des rencontres de prêtres ou en Église? « Comment des prêtres de Jésus Christ, censé le représenter, en sont venus à commettre de tels crimes malgré cet avertissement sévère de Jésus »: « Mais si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient, il serait mieux pour lui de se voir passer autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être jetés à la mer ».
À observer l'état actuel de l'Église du Québec et des paroisses, que pensent ces prêtres que le vent a balayés? Ils pensent mais ne parlent pas. Pourquoi n'entendons-nous pas de leur bouche ces mots: Nous avons échoué? Peu importe leur réponse, ils seront accusés de manquer de foi et d'espérance. On peut formater la raison pour ne pas dire le mot échec, mais pas le cœur. Le sentiment d'échec est au niveau du cœur. Un cœur blessé se tait, par crainte d'aggraver sa blessure.
Lorsqu'un de ces prêtres décède, à part quelques exceptions, à ses funérailles, seules quelques têtes blanches sont présentes, comme aux messes du dimanche. Un autre signe que l'annonce de l'Évangile de Jésus Christ n'a pas rejoint et ne rejoint pas la nouvelle génération. Oui, « L'amour est mort ».